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le retour vers la matrice
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Photo du rédacteurBénédicte et Jacques

De la reconnaissance dites-vous ?



Pourquoi agissons-nous de telle manière plutôt que telle autre ? Sur quels critères s’opèrent nos choix ?

Il s’avère difficile à mon sens de vivre sans chercher à comprendre les mobiles qui déterminent nos conduites, il y va de notre vision des rapports sociaux, de notre interprétation de l’histoire, en fait de tous nos engagements.

Ce que nous pensons, ce que nous croyons, la manière dont nous agissons résultent de la combinaison de notre structure psychosociologique et de notre statut social, de nos expériences et de nos origines, de nos désirs et de nos appétits, de nos institutions. Les psychologues ou les sociologues pourraient peut-être nous renseigner sur le fonctionnement de cette « boite noire » dont l’obscurité nous hante jusque dans nos rêves.

Il est un mobile, d’ordre relationnel, qui me semble devoir être étudié de plus près, et dont l’objet incertain en est le sujet même de ma réflexion de ce soir : je veux parler de la Reconnaissance, celle que chaque individu ne cesse de demander aux autres.

Dans les longues heures qui ont précédé son départ vers l’au-delà, mon Père, sentant sa fin proche, m’a avoué que son plus grand regret serait de rester anonyme, de disparaître à jamais sans laisser de trace, sinon ses enfants. Il s’interrogeait : avait-il été utile à la société, à ses frères de lutte pour plus de fraternité et de justice, dans sa vie d’homme, de syndicaliste et d’élu ? Son nom resterait-il associé à sa commune d’adoption, Trignac (loire-atlantique), où il s’est tant investi ? Il voulait être Reconnu dans sa singularité d’homme, et pour sa participation à l’œuvre commune.

Pour ma part, séminariste dans les années 60, j’ai souhaité devenir ouvrier pour être reconnu de mon Père, militant syndicaliste ouvrier. Devenu ouvrier métallurgiste dans les années 70, j’ai voulu devenir ingénieur pour être reconnu de mes pairs, dans ma vie professionnelle. Ingénieur aujourd’hui, après 18 ans de formation en cours d’emploi, au cours desquels j’ai obtenu plusieurs diplômes, j’ai préparé un concours de la fonction publique réputé très difficile.

Quelles furent donc mes motivations dans cette course aux diplômes ? Quel « moteur » m’a fait travailler si durement, sinon une demande de Reconnaissance, reconnaissance des autres, et reconnaissance de moi-même ?

Cette considération, teintée d’estime, de respect ou de crainte, parfois d’amour ou d’affection, certifie notre existence parmi les autres. La plus grande crainte, à l’inverse, serait l’indifférence, le rejet, l’abandon, l’isolement. Nous désirons avant tout avoir notre place dans la société, être identifiés, valorisés, adoptés, en un mot Reconnus. Dans ce jeu compliqué de transactions, de menaces et d’échanges, que les autres nous promettent, généreusement ou avec parcimonie, nous cherchons désespérément les moyens d’y parvenir.

Les détours par lesquels s’exprime cette demande de reconnaissance, les formes qu’elle adopte, les objets sur lesquels elle se fixe, sont infiniment variés selon les personnes et les âges. Certains cherchent la position sociale tandis que d’autres quémandent des titres ; certains appartiennent à un clan, tandis que d’autres cherchent à gagner de l’argent ; certains veulent ceci, d’autres cela. Certains bâtissent même leur existence aux yeux des autres sur la crainte : la haine et le mépris sont pénibles mais demeurent selon eux préférables à l’indifférence.

Les adolescents vivent, agissent, s’habillent, chantent, selon des modes nouvelles pour se différencier des adultes et montrer qu’ils existent. Les demandeurs d'emploi, quant à eux, souffrent de la non-réponse des entreprises à leur lettre de candidature parce qu’une réponse négative leur permettrait d'exister et d'entrevoir toujours l'espoir d'une réponse positive.

Qu’il y a-t-il donc sous ce vocable de Reconnaissance ?

La demande de reconnaissance, c’est d’abord cette quête éperdue d’une identification positive, de la preuve réitérée d’une valeur : « Dis-moi que je suis quelqu’un de bien ! » Notre identité devient alors ce que les autres acceptent de dire que nous sommes.

Ce mot de reconnaissance, avec ses multiples manières de le décliner, est un terme polysémique, il évoque la complexité de la demande, l'ambiguïté de ses facettes, et finalement son unicité revient en filigrane : « dis-moi ce que je suis ! »

Etre reconnu, c’est d’abord être distingué des autres, identifié, nommé. En ce sens reconnaître c'est se souvenir, reconnaître quelqu'un c'est pouvoir parler de lui, le discriminer parmi tous les autres. Puis le sens glisse de l’identification vers l’identité légale. Etre reconnu c'est exister légitimement, officiellement, c’est être inscrit dans les registres (nom, prénom, profession, adresse...). On reconnaît un enfant. Les signes de reconnaissance, indices de ralliement, sont des gages d’appartenance, donc une part essentielle d’identité.

La reconnaissance c'est aussi la gratitude. Nous sommes redevables des bienfaits, des services prodigués par autrui, c'est la reconnaissance envers les autres. Le créancier demande une reconnaissance de dette à son débiteur, et donc une preuve de sa propre existence, comme de celle de l’autre. La reconnaissance c’est également l'aveu de sa faute, de son erreur. La reconnaissance c’est encore l'exploration d’un territoire, d’un lieu.

Quant au jeu du pouvoir, avec ses stratégies, ses manœuvres et ses compétitions, il offre à ses aspirants comme à ses pratiquants, de multiples occasions de faire savoir aux autres qu'ils existent et qu'il faut compter avec eux. L’expression « avoir du pouvoir » signifie d’ailleurs presque toujours : « tenir une position telle que les autres soient contraints de prendre son existence en compte », il s’agit bien là encore d’être reconnus. On pourrait dire enfin que le fait d’être mortel accroît l’urgence de laisser des traces et d’être reconnu parmi les vivants.

Faut-il penser que la demande de reconnaissance émane d'un besoin grégaire constitutif du lien social : vivre parmi les autres et être identifié par eux ? Il s’agit là à mon sens d’un besoin véritable puisque l’isolement complet, s’il ne tue pas physiquement, détruit la part d’humanité chez ceux qui en sont victimes. Demande d'amour et demande de reconnaissance sont étroitement imbriquées, sachant que pour aimer les autres il faut d'abord s'aimer soi-même et donc se reconnaître soi-même, ce qui n'est pas acquis à la naissance !

Ces deux demandes sont à l’origine de la manière dont nous établissons nos relations avec autrui, mais la reconnaissance est socialisée tandis que l’amour demeure individuel et emprunt de sexualité.

Chacun désire être identifié, nommé, valorisé, considéré par les autres, pour exister au sein de la société. La reconnaissance, c'est-à-dire « nouvelle naissance » pour les autres, c’est la confiance en la confiance que les autres nous témoignent.

Sans aller jusqu’à dire que la demande de reconnaissance est à l’origine de toutes nos motivations, elle en est le plus souvent la manifestation éclatante, car, sans être à l'origine de tous nos actes, on constate son omniprésence dans l'expression de nos besoins et de nos désirs.

Alors, cette demande de reconnaissance, en définitive, est-ce une simple gratification narcissique ou la recherche d’une légitime identité ?

Je précise que j’assimile ici narcissisme à estime de soi et nous savons bien que sans un minimum d’estime de soi rien n’est possible, rien ne peut être entrepris, aucune relation féconde ne peut être établie. N’oublions pas que le pire juge est celui que nous portons en nous-mêmes.

L’estime de soi et la légitimité, si elles ne sont pas factices, sont toujours conditionnelles : elles résultent de l’estime et de la reconnaissance des autres.

Voilà donc pourquoi il ne saurait y avoir d’apaisement complet à cette soif de reconnaissance, car il reste toujours quelque chose à obtenir, un doute ou un remords à combler, une volonté ou une indépendance à affirmer.

Le narcissisme des uns se mirant dans celui des autres, mon propre reflet dans le miroir de l’autre, s’il ne me satisfait pas toujours, représente tout de même une image de moi. Le défaut que nous reprochons le plus aux autres n’est-il pas d’abord le nôtre ?

Aujourd’hui on considère que le narcissisme, même modéré, est déplacé, ce terme est devenu péjoratif, synonyme d’orgueil, de vanité, d’égoïsme, l’amour-propre est considéré comme malséant, l’égocentrisme un défaut. S’aimer soi-même passe pour une sorte de perversion, et pourtant nous savons bien que nul ne peut être aimé s’il ne s’estime pas lui-même aimable !

Combien de relations gâchées parce que l’image que nous avons de nous-mêmes ne nous paraît pas présentable !

Exprimée sous forme de doute, de dépréciation systématique ou de surcompensation ostentatoire, la demande de reconnaissance peut être considérée comme la manifestation d’un narcissisme défaillant.

Restituer ou aider à reconstruire ce narcissisme perdu devient donc un objectif éducatif, car c’est à mon sens le véritable moteur de nos motivations.

Il nous faut créer des situations susceptibles de démontrer notre capacité, à réussir ce que nous entreprenons, et à établir des relations avec les autres estimées positives de part et d’autre.

L’identité d’un sujet c’est ce qu’il dit de lui-même et qui est confirmé par les autres, ou inversement ce que les autres disent de lui et qu’il accepte. Toute formation peut être appréhendée comme une occasion unique, de constituer quelque chose d’un narcissisme précaire, et de conférer une légitimité.

En conclusion, j’insisterai sur la notion d’Amour, la suprême des reconnaissances : aimer pleinement un être ne peut s’envisager avant de savoir s’aimer soi-même, comment en effet donner à l’autre ce que je ne sais pas me donner à moi-même ?

Comment devenir heureux avec l’autre et recevoir en retour son bonheur sans savoir être heureux avec soi-même indépendamment d’une présence rassurante à mes côtés ? Je ne peux rencontrer celle qui répond à celui que je suis réellement, si, au préalable, je ne rencontre pas mon être essentiel. Tant que je ne suis pas moi, l’autre qui vient à moi n’est pas plus unifié que je ne le suis.

Avant d’espérer trouver l’autre je dois commencer par me trouver, sachant que je ne peux me révéler à moi-même sans entreprendre un travail sérieux d’assainissement des structures de ma personnalité, il est alors nécessaire d’opérer un tri entre les aspects de moi qui m’appartiennent et ceux que j’ai empruntés aux influences extérieures, et qui m’encombrent.

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