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le retour vers la matrice
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Photo du rédacteurBénédicte et Jacques

Activités de pleine nature


J'ai pratiqué ces dernières années de nombreuses activités de pleine nature, pour satisfaire ma soif d'aventure, et sûrement aussi pour aller jusqu'au bout de moi-même. Indiana Jones, à la recherche de ma légende personnelle, baroudeur peut-être inconscient, je vais vous narrer quelques anecdotes dont je me souviens comme si c’était hier...

J'avais dix-sept ans lorsque des copains m'ont emmené sur les rochers de l'île-aux-pies (au nord de Nantes près de Redon). Au bout de quelques mètres d'escalade, dans la voie normale, je fus pris de vertige, et mon premier de cordée dut littéralement me tirer sur la vire intermédiaire où je restai allongé, face contre rocher, comme paralysé.

Nous étions près de l'anse de tréfeunteun, en route au près serré vers ouessant, lorsque notre voilier fut pris dans la brume. Dans les parages tourmentés du raz de sein, la moindre erreur d'appréciation pouvait nous être fatale. Concentrés sur les calculs de nos virements de bord, c'est sous tension que nous sortîmes de cette brume, sous le vent de tréguennec.

Nous venions de nous réunir aux trois mètres sur la chaîne d'ancre, tout près du tombant du bonen du Four (le grand phare à l’ouest du Croisic). Après le signal que tout allait bien, nous descendons jusqu'à une profondeur de trente mètres. Nous contemplons les anémones, les roussettes, et les langoustes qui nous regardent passer des balcons formés par les trous du rocher. Nous remontons en effectuant nos trois paliers. Quand nous crevons la surface, nous nous rendons compte que le bateau est à deux cent mètres.

Je suis devant la porte béante, ma sangle d'ouverture automatique est accrochée au câble. Voyant vert, klaxon, je suis poussé dehors, quelques secondes, et c'est le silence. Bien que ce soit la nuit, à coup sûr, nous sommes dans les pyrénées! Je prend la position d'atterrissage, un semblant de roulé-boulé, je suis sur une route de montagne, assez loin de la DZ et du lieu de rassemblement (service militaire au 3ème RPima).

Le chef de randonnée m'avait demandé de monter le poulain de trois ans tout juste débourré. Après vingt minutes au pas dans les chemins et les taillis, un pré de plusieurs centaines de mètres s'ouvrait devant nous. Dès le début du galop, mon cheval chercha à passer en tête, le chef de rando lui donna un coup de cravache au passage et j'eus beaucoup de mal à rester en selle jusqu'au bout du pré où un brusque écart me fit passer par dessus l'encolure, pour me retrouver dans un buisson de mûriers, à la grande joie de mes compagnons.

Je venais d'effectuer mon dixième atterrissage lorsque l'instructeur me demanda d'arrêter l'avion en bout de piste. Mon coeur se mit à battre car j'allais être lâché pour la première fois en solo. Je repartis donc vers le point d'arrêt avant décollage, vérifications d'usage, message radio à la tour, plein gaz, l'avion bondit. Je tire doucement sur le manche, j'ai décollé! Je coupe la pompe électrique, je rentre les volets, cinq cent pieds, je vire à droite et je continue de monter jusqu'à mille pieds. Instinctivement je regarde à côté de moi, mais le siège est vide! Je me ressaisis et je continue mon tour de piste, non sans avoir battu des ailes, pour marquer mon bonheur!

Voilà déjà cinq heures que nous marchions sur la corniche intermédiaire du grand canyon d'arrazas, vers la brèche de roland, sur le versant espagnol du mont perdu. Il pleuvait depuis le matin, et la pluie se changeait en neige au fur et à mesure que nous montions. Malgré notre boussole et notre altimètre nous avions dû passer près du refuge de gaulis sans le voir, nos repères s'estompaient. Après trois heures supplémentaires de marche à l'aveuglette, sûrs de ne pas trouver cette brèche, nous décidâmes de redescendre passer la nuit dans la vallée, avant que nos traces ne s'effacent complètement. Ce jour là nous avions marché dix sept heures!

Je pourrais ainsi multiplier les anecdotes et les récits d'aventures vécues pendant mes quarante dernières années, dans des raids à peau de phoque en montagne au printemps, dans la forêt québécoise, en Roumanie, au Cameroun, en Israël, en Jordanie, au Sahara, en Himalaya..., mais quelle mouche me piquait donc ainsi pour rechercher, avec boulimie, des épisodes de vie extrême, des risques, des efforts gratuits, et des plaisirs intenses? Les psychanalystes disent que tout vécu corporel contient l'histoire consciente et inconsciente du sujet, et que les relations à autrui et aux objets déterminent notre mode de rapport avec notre corps. La situation des activités physiques et sportives de pleine nature, en tant que vécu corporel le plus souvent en situation incertaine, met en jeu notre corps, ses mythes et ses expériences, à un niveau affectif. L'individu sera pris d'angoisse, de peur ou au contraire d'euphorie, de jouissance suivant la représentation qu'il se fera de ce qu'il va vivre. Les sociologues disent que notre corps est un corps façonné, conditionné, marqué par le milieu social, culturel et idéologique qui nous environne. La motivation des pratiquants des activités physiques et sportives de pleine nature est définie par un ensemble de besoins : physiologiques (thermodynamiques, kinestésiques), psychologiques (affirmation de soi, déblocage d'inhibitions, instinct de destruction, masochisme), psychosociaux (recherche de l'exploit, retour à la nature, aspiration à être le meilleur), et socio-culturels (effet de mode, écologisme, recherche de compensations, besoins ludiques).

En me confrontant à notre mère nature, au travers des images qu'elle me renvoyait, je cherchais à me retrouver, tout simplement. La nature est une projection de notre mère nourricière, elle est en même temps une inconnue sur laquelle nous projetons l'angoisse de notre être. Le besoin n'est pas un en-soi mais une résultante de divers facteurs individuels et socio-économiques. Les activités physiques et sportives de pleine nature sont des épisodes de vie intense, le signe d'une puissance et d'une plénitude. L'effort procure un sentiment de bien-être physique, parfois même d'euphorie. Les sensations fortes des activités physiques de pleine nature peuvent ainsi servir de substitut aux satisfactions sensuelles proprement érotiques, le plaisir intense ne venant que si on se donne du mal pour l'obtenir.

On trouve une pléiade de sources pulsionnelles : la recherche du risque total, la beauté et l'espace, la vitesse et le vide, la stimulation du mouvement, le contact des autres. On peut y trouver aussi une sublimation dans l'esthétique, qui nous emmène dans l'étrange et le surréaliste. Le goût du risque s'ajoute à l'agressivité. Côtoyant le danger, l'humain se pose en conquérant d'une nature résistante mais finalement soumise. C'est le narcissisme du courage, le plaisir de dominer sa peur. On y trouve encore la notion d'initiative, de projet, de vie en groupe. Mais c'est toujours la société qui façonne la forme et le contenu de nos besoins, et s'il s'agit de compensations, celles-ci ne peuvent se comprendre qu'en référence à l'ordre social qui nécessiterait de telles compensations. On peut sérier trois types de compensations :

- équilibration, qui corrigent certains modes de vie, par exemple du bruit vers le silence,

- surmontement, par exemple l'ouvrier qui devient chef de cordée ou skipper,

- substitution, dans les satisfactions qu'on n'obtient pas dans la vie professionnelle.

Pour les pratiquants des actvités physiques et sportives de plein air, la nature représente la liberté, la sensation de redevenir un homme ne connaissant que les lois physiques et biologiques. L'homme vient ainsi rechercher dans la nature une liberté dont les limites ne sont que ses propres possibilités d'action. La nature c'est aussi l'évasion, l'alternative à l'artificiel et au factice du monde contemporain. Se sentir dans une situation de danger permet de se rapprocher des autres, de se serrer les coudes, et cette proximité procure un sentiment de bien-être. Statistiquement on constate que ces activités sont plutôt pratiquées par les classes moyennes et aisées, même si les comités d'entreprise et le développement du tourisme social ont permis un début de démocratisation des activités de pleine nature. Culturellement, chacun voit la nature à sa façon, chacun la perçoit par un réseau d'organes des sens où domine la vue, chacun en reconstruit ensuite une image influencée par sa mythologie personnelle. Le philosophe Gaston Bachelard disait que le rapport de l'homme à la nature est fondamentalement ambivalent : il est fait d'activité et de passivité, d'agressivité et de soumission, de peur et d'attirance, de méfiance et de confiance, le trait dominant variant selon les moments et les individus.

Il est intéressant d'analyser les images que nous renvoit la nature, en les centrant d'abord sur les quatres forces élémentaires de la sociologie antique reprises dans l'imaginaire de Bachelard. Le feu c'est la flamme ondoyante qui éclaire et qui chauffe, mais qui brûle également. La sensation de chaleur externe devient sensation interne dans la jouissance de l'ici et maintenant. Autour du feu on mange, on boit, on chante et on s'endort. On ne peut concevoir un campement sans un feu, synonyme de vie, de lumière, de réchauffement, de rêveries. L'eau est associée à l'aventure, le voyage. L'eau symbolise à la fois l'agressivité et la beauté limpide. L'eau serait plutôt féminine, le giron de la mère lorsqu'on s'y enfonce, on regarde la surface comme le monde extérieur. L'air c'est le dynamisme, la volupté du mouvement sans contrainte, l'infini, l'aspiration à la transcendance, à la sublimation. L'air est le souffle vital, le souffle poétique. La terre, une force résistante à notre volonté, mais sur laquelle on peut s'appuyer. Une terre nourricière, giron sur lequel on peut se reposer. La terre aussi maléfique, symbole de la faute originelle. La terre symbole de la vie, de la germination des végétaux et de la beauté des fleurs. Il est intéressant ensuite d'analyser les images centrées sur l'arbre, les fleurs, les pierres, le vent, le ciel, les animaux, la nuit... L'arbre est l'instrument, le médiateur entre le ciel et la terre. La forêt, là où les arbres parlent, fait peur, protège aussi. L'arbre peut être associé à l'homme. Les fleurs, par la fugacité de leur beauté, sont associées à la femme. La roche, par sa beauté sculptée, paraît inhumaine mais fascinante. Les moraines des glaciers donnent l'impression d'un monde pétrifié, le cairn, monticule de pierres dressé par la main de l'homme pour se diriger , est symbole de vie et de sens. Le vent c'est le dynamisme, l'énergie. Le vent est redouté en montagne, il s'infiltre dans les trous et les couloirs avec un mugissement inquiétant parce qu'il se rapproche du cri humain. C'est comme si la montagne protestait. En mer au contraire, le vent est le compagnon désiré, mais aussi redouté. Le ciel se lit comme une carte, tous les montagnards savent lire le ciel qui leur dira tout sur le temps du lendemain. La nuit la lumière des étoiles est rassurante, protectrice. Le ciel c'est l'insondable qui nous domine, c'est aussi l'infini. Baudelaire écrivait dans "les fleurs du mal": "par delà les confins des sphères étoilées, mon esprit tu te meus avec agilité, et, comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde, tu sillonnes gaiement l'immensité profonde avec une indicible et mâle volupté".

Comme les végétaux, les animaux sont des images de l'homme. En montagne la présence de l'animal nous renseigne sur les conditions climatiques, il est notre compagnon. L'osmose entre le cheval et son cavalier est indispensable, leurs rapports sont tous de séduction et d'autorité. La nuit c'est fantasmatique, les bruits, les odeurs dominent. L'obscurité apporte aussi le silence et la plénitude de notre mère nature, en même temps mythe et réalité vécue.

Ce n'est pas la matière qui structure la forme des représentations imaginaires, c'est l'homme qui construit une histoire à travers elle, qui y projette sa propre histoire. Les lointains auteurs de la genèse ont donné une explication : la nature était à l'origine parfaite mais elle a ensuite porté la marque du mal accompli par l'homme.

Dans notre société dite de progrès, certains pratiquent le retour à la nature pour contourner le stress, d'autres cherchent à retrouver le rythme de nos ancêtres dans le rêve adamique de retour au paradis terrestre.

Pour ma part j'en reste au plaisir que me procure la pratique des activités physiques et sportives de pleine nature et à tout ce qu'elles m'ont permis d'apprendre sur moi et sur les autres. J’éprouve un sentiment de plénitude quand je marche en pleine nature, un sentiment de confiance totale en notre mère nature, en osmose avec les énergies de l’Univers.


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